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Les délais de recours des constructeurs entre eux ne sont pas soumis au délai de 10 ans

Auteur : Philippe LIEF
Publié le : 04/05/2020 04 mai mai 05 2020

La 3e Chambre civile de la Cour de cassation a rendu le 16 janvier 2020 un arrêt venant préciser le délai de prescription des recours des constructeurs entre eux.

L'arrêt énonce que ce délai de prescription est le délai de droit commun de 5 ans, c’est-à-dire le délai de droit commun de l'article 2224 du Code civil, et non le délai de 10 ans de l'article 1792-4-3 du Code civil.

L’arrêt énonce également que le point de départ de cette prescription est l'assignation en référé-expertise délivrée par le maître d'ouvrage à l'entrepreneur qui entend exercer son recours à l'égard d'un autre constructeur.

La situation concrète à laquelle répond cet arrêt est la suivante : le maître d'ouvrage d'une opération de construction assigne en référé un ou des constructeurs aux fins d'organiser une expertise judiciaire destinée à établir l'existence de désordres, à déterminer leur gravité et leurs conséquences, à dégager des responsabilités, à déterminer et à chiffrer les travaux préparatoires, etc. Au vu du rapport d'expertise déposé à l'issue des opérations d'expertise, le maître d'ouvrage exerce une action au fond destinée à faire juger la responsabilité du ou des constructeurs (action en responsabilité soit de nature décennale, soit de nature contractuelle, dans les deux cas le délai de prescription de cette action est de 10 ans à compter de la réception de l'ouvrage) et à les faire condamner à réparer le préjudice généré par les désordres (coût des travaux préparatoires et dommages immatériels : trouble de jouissance, perte locative,…).

Le constructeur assigné entend se retourner contre un autre constructeur, qu'il s'agisse d'un de ses sous-traitants, qu'il s'agisse d'un constructeur lié directement comme lui au maître d'ouvrage par un marché passé avec ce dernier, ou encore qu'il s'agisse d'un sous-traitant d'un tel constructeur.

Jusqu'à l'arrêt précité du 16 janvier 2020, la question s’est posée de savoir si ce recours entre constructeurs était soumis au délai de 10 ans à compter de la réception applicable en matière de garantie décennale (article 1792-4-1 du Code civil) et applicable aux actions en responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs (article 1792-4-3 du Code civil), ainsi qu'aux actions en responsabilité délictuelle contre les sous-traitants (article 1792-4-2 du Code civil) ; ou si ce recours était soumis à la prescription quinquennale de droit commun de l'article 2224 du Code civil.

Par cet arrêt du 16 janvier 2020, la Cour opte donc pour le délai de 5 ans.

Elle prend le parti de faire courir ce délai à compter de la première assignation délivrée au constructeur qui entend exercer son recours contre un autre constructeur. Généralement, il s'agit de l'assignation en référé-expertise.

La solution retenue par la Cour de cassation met fin à une situation juridique particulièrement inéquitable. Il s'agit de la situation dans laquelle un constructeur se trouve assigné (en référé-expertise, ou directement en responsabilité au fond) très près du terme du délai de prescription de 10 ans, ce qui auparavant risquait de le priver de la possibilité de se retourner en garantie contre un autre constructeur, le délai de 10 ans se trouvant expiré avant qu'il n'ait eu le temps de délivrer assignation en garantie.

Désormais, avec la solution retenue par la Cour de cassation, le constructeur assigné disposera, à compter de sa mise en cause, d'un délai de 5 ans pour se retourner contre tout autre constructeur.

Mais de ce fait, tout constructeur pourra voir sa responsabilité engagée au-delà du délai de 10 ans. En cas de recours en chaîne, chaque recours ouvrira un nouveau délai de recours de 5 ans.

Historique

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