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Barreau de Bordeaux

Révision du loyer à la baisse en cours de bail

Auteurs : Philippe LIEF, Avocat associé au Barreau de Bordeaux
Publié le : 09/03/2022 09 mars mars 03 2022

La révision à la baisse d'un loyer commercial en cours de bail n'est pas des plus fréquentes. Le fait est qu'une baisse de loyer en cours de bail ne peut intervenir que dans des cas exceptionnels.

Un premier cas est celui où le bailleur et le preneur se mettent d'accord sur une baisse de loyer, pour des raisons qui leur sont propres.

Un second cas, également exceptionnel, est celui dans lequel l'indice sur lequel est indexé le loyer, varie à la baisse.
En revanche, la baisse de la valeur locative des locaux loués en cours de bail n'est pas, à elle seule, un motif de révision du loyer à la baisse.

La valeur locative d'un local commercial dépend de plusieurs facteurs, dont les facteurs locaux de commercialité (qui recouvrent l'attractivité du local, son environnement commercial). Or ceux-ci peuvent parfaitement évoluer en cours de bail, et notamment dans un sens défavorable, par exemple en cas de fermeture de commerces environnants, ou de moindre fréquentation des bureaux avoisinants (ce qui a pu être le cas durant les périodes de confinement, puis avec le développement du télétravail, ayant une incidence notamment sur les commerces de restauration). 

Donc même lorsque la valeur locative diminue en cours de bail, le preneur n'est pas en droit d'obtenir une baisse du loyer.

Il n'en va différemment que dans un cas, qui est celui dans lequel il est rapporté la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative (article L. 145-38 alinéa 3 du Code de commerce).

Ainsi, pour obtenir une baisse du loyer en cours de bail, le preneur doit démontrer :
  • une variation à la baisse de plus de 10 % de la valeur locative,
  • que cette variation est due à la modification des facteurs locaux de commercialité,
  • que c'est cette modification des facteurs locaux de commercialité qui,  à elle seule, a entraîné la variation la baisse de plus de 10 % de la valeur locative.
Cette triple démonstration est évidemment délicate, d'où le caractère exceptionnel de cette hypothèse de baisse du loyer en cours de bail.

C'est ce qui donne son intérêt à une décision rendue le 16 novembre 2021 par le Juge des loyers commerciaux du Tribunal judiciaire de Bergerac (n° RG 21/00216) qui a fait droit à une demande de révision à la baisse d'un loyer commercial formée par un preneur défendu par le cabinet GLLR.

Dans cette affaire, le preneur était locataire d'un local commercial situé dans la galerie commerciale d'une grande surface de distribution. Le bail avait été conclu pour une période de 12 ans. À l'issue des neuf premières années, soit à l'expiration de la troisième période triennale, le preneur se plaignait de ce que la galerie commerciale était désertée, 50 % des locaux étant inoccupés.

Par ailleurs, l'enseigne de grande distribution exploitant l'hypermarché et servant de "locomotive" au centre commercial avait changé, et le preneur se plaignait de ce que la nouvelle enseigne était moins attractive que la précédente.

Le preneur soutenait donc qu'il s'était produit une modification des facteurs locaux de commercialité, qui à elle seule avait entraîné une variation à la baisse de plus de 10 % de la valeur locative.

La question qui se posait au Juge des loyers commerciaux était de savoir si la fermeture d'un nombre important de boutiques au sein d'un centre commercial, combinée à un changement d'enseigne, constituait une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité susceptible, si elle avait entraîné à elle seule une variation à la baisse de plus de 10 % de la valeur locative, de justifier une baisse du loyer. 

Le bailleur opposait deux objections à la demande de baisse de loyer du preneur.

En premier lieu, il faisait valoir que le taux d'occupation de la galerie marchande n'avait pas varié entre la date à laquelle le preneur était entré dans la galerie (date de prise d'effet du bail) et la date de sa demande de baisse du loyer ; en effet, selon le bailleur, dans la mesure où le preneur était l'un des premiers locataires de la galerie, celle-ci n'était pratiquement pas occupée lorsque son bail avait démarré. Avec 50 % de locaux inoccupés, soit 50 % de locaux occupés, la situation du preneur n’avait donc pas empiré…

Le bailleur faisait valoir par ailleurs qu'un changement d'enseigne constituait non pas une modification "matérielle" des facteurs locaux de commercialité, mais une modification « immatérielle », si bien que faisait défaut une des conditions d’application de la baisse de loyer en cours de bail.

Pour faire droit à la demande du preneur, et reconnaître l'existence d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, le Juge des loyers commerciaux du Tribunal judiciaire de Bergerac retient, d'une part que le bailleur reconnaissait lui-même que la nouvelle enseigne exploitant l'hypermarché était moins attractive que la précédente enseigne, d'autre part qu'au cours des neuf années précédant la demande de baisse de loyer, de nombreux commerces avaient fermé.

Selon cette décision, au sein d'une galerie marchande, la fermeture de nombreux commerces, l'existence de locaux vacants, la réduction du nombre de boutiques ouvertes, constituent une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité au sens des dispositions de l'article L. 145-38 du Code de commerce.

L'expert missionné par le Tribunal ayant conclu que cette modification matérielle des facteurs locaux de commercialité avait entraîné à elle seule une modification de plus de 10 % de la valeur locative, le Juge des loyers commerciaux a modifié le loyer à la baisse, dans une proportion de plus de 35 %.

Cette décision fait actuellement l'objet d'un appel devant la Cour d'appel de Bordeaux.

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